INFUSION
Voilà un sujet qui m’oppose à plusieurs herboristes qui ont appris à faire autrement. Les grandes écoles d’herboristerie enseignent depuis longtemps que pour faire une infusion (une tisane de plantes), il faut mesurer une certaine quantité de feuilles par tasse, puis verser de l’eau bouillante sur les feuilles.
Je m’oppose à cette pratique populaire et habituelle : j’enseigne au contraire qu’on ne verse JAMAIS d’eau bouillante sur des plantes. On ne jette pas non plus des plantes dans de l’eau bouillante. Surtout si les parties sont fragiles, comme des fleurs ou des feuilles délicates.
Voici pourquoi, selon les enseignements autochtones que j’ai reçus.
LA LEÇON DE MARIA
Maria est une aînée qui aimait beaucoup me jouer des tours. Elle avait une façon bien particulière de me passer ses enseignements. Même si parfois elle m’a vraiment fait peur, je n’oublierai jamais ses leçons et je la remercie. Une de ces leçons, du genre ‘‘technique d’impact’’, concerne justement le principe de jeter de l’eau bouillante sur les plantes. Je vous partage:
C’est l’hiver, et Maria me demande d’aller dans le bois (juste l’autre bord de la rue) pour lui ramener des feuilles de thé du labrador. Y en a partout, c’est simple à trouver, j’en ramène un bon bouquet, toute fière de répondre à sa demande et de lui faire plaisir. Elle me fait signe de poser le bouquet sur la table et me dit de lui préparer une tisane avec les feuilles. Elle me regarde sortir les tasses et brancher la bouilloire pour faire chauffer l’eau. Elle ne dit rien quand je détache les feuilles pour les poser dans le fond des tasses.
Après un temps la bouilloire siffle et l’eau bouillante est prête. Elle se lève en même temps que moi et se place à mes côtés. Au moment où j’agrippe la bouilloire pour verser l’eau sur les feuilles, elle prend ma main qui est libre et la place sous le bec de la bouilloire, juste avant que l’eau ne sorte pour remplir les tasses. J’ai tout de suite réagi en retirant brusquement ma main et en arrêtant mon geste de faire couler l’eau de la bouilloire. Je l’ai regardé droit dans les yeux, absolument choquée, et je lui ai demandé :
Mais qu’est-ce que tu fais-là? Es-tu folle? Tu voulais me brûler?!!
Sans sourciller, sans lâcher mon regard, elle me répond sèchement :
Verserais-tu de l’eau bouillante sur ta main?
BIN NON!!, que je lui réponds.
Bin on verse pas de l’eau bouillante sur les plantes.
Rappelle-toi que les plantes, c’est plus fragile que ta peau.
OH!!! Mais…J’ai fait comme j’ai appris! J’ai fait comme on dit partout!
Bin alors… on fait comment d’abord?
Je n’ai jamais oublié la leçon. Ce moment a influencé toute ma pratique et tous mes apprentissages concernant les plantes. J’ai commencé à voir les plantes différemment, à mieux comprendre le lien qui nous unit à elles, avec tout le respect que nous leur devons. J’ai choisi d’honorer cette façon de faire et j’assume d’enseigner une méthode à contre-courant. Ne pas verser de l’eau bouillante sur les plantes fait selon moi beaucoup plus de sens, au niveau du RESPECT de la plante.
INFUSION QUI RESPECTE LA PLANTE
Le principe de base est simple : rien de vivant ne survit dans l’eau bouillante.
Or, selon la vision autochtone, la médecine d’une plante, c’est vivant.
Les herboristes qui tiennent mordicus à ébouillanter leurs plantes le font dans le but d’EXTRAIRE les composantes de la plante. En versant de l’eau bouillante sur des plantes, le choc de température fait effectivement sortir des composantes de la plante, raison pour laquelle l’eau change de couleur, surtout avec des plantes sèches. Parmi les composantes instantanément relâchées au contact de l’eau bouillante: les huiles essentielles.
Le résultat est un breuvage qui sent bon, mais dont les propriétés médicinales ont été réduites ou brûlées par l’eau bouillante. De compréhension autochtone, on dit qu’on a fait mourir la médecine de la plante.
Les herboristes qui enseignent le principe d’ébouillanter les plantes le font également selon le principe du ‘‘ça va vite’’. Elles disent s’ajuster aux besoins de leur clientèle, qui ne vit pas dans le bois, mais bien dans le rythme fou de la vie moderne. Elles ont la même logique de la vitesse et de la facilité pour les remèdes à base d’alcool; les teintures-mères. On y reviendra.
Dites-moi ce qui est le mieux ou le pire :
Faire rapidement un remède mort et bouillant, qu’on doit laisser refroidir avant de boire (en toute vitesse, parce qu’on est pressés)…
Ou faire lentement un remède vivant qu’on réchauffe doucement à température confortable pour boire? Quitte à RALENTIR notre rythme de vie? À gérer son temps différemment? À prendre le temps? Moi j’ai fait mon choix.
PRENDRE LE TEMPS DE BIEN FAIRE LES CHOSES
Pour faire une bonne infusion sans perte de médecine, en respect du rythme et de la constitution de la plante: faire tremper les feuilles ou les fleurs dans de l’eau température pièce. Le temps qu’il faut. Mettre la quantité de plante que vous voulez, dans la quantité d’eau que vous avez envie de boire. En général, un creux de main de plante pour une tasse d’eau c’est la mesure de départ. On peut mettre plus, on peut mettre moins, c’est votre corps qui vous le dira.
Le temps de trempage est différent pour chaque plante. Ce sera à vous de découvrir, d’apprendre et d’ajuster selon vos préférences au goût. Avant de faire tremper, briser les feuilles ou les fleurs en petits morceaux, de façon à ce que chaque coupure permette à la médecine de se libérer dans l’eau, par échange et par contact.
Quand les plantes ont bien trempé et que l’eau a changé de couleur, verser dans un chaudron et faire chauffer à feu très doux, jusqu’à température confortable pour boire. Doucement, comme quand on chauffe de l’eau sur le poèle à bois.
Petit truc : on laisse un doigt dans l’infusion qui réchauffe. Le doigt transmet votre énergie à votre infusion. Le doigt sert aussi de thermomètre pour la température idéale de l’infusion : si c’est trop chaud pour le doigt, ce sera trop chaud pour la bouche et aussi trop chaud pour la plante. Garder un doigt dans l’infusion qui réchauffe vous garde présent au processus. Le doigt vous empêche d’oublier l’infusion sans surveillance sur le feu, et ainsi de la perdre parce qu’elle se met à bouillir.
Une fois à température confortable pour boire, retirer du feu, filtrer ou non (selon vos préférences). SENTEZ, GOÛTEZ et RESSENTEZ la médecine de la plante, qui s’est libérée doucement et à son rythme, sans choc thermique.
Certaines parties de plantes peuvent recevoir une eau de trempage plus chaude que température pièce, sans toutefois être bouillante. Les parties de plantes plus robustes, comme les tiges ou les feuilles épaisses supportent mieux un trempage chaud que des parties de plantes fragiles, comme des feuilles fines ou des fleurs délicates.
GOÛTEZ LA DIFFÉRENCE!
Je vous invite à essayer par vous-même les démonstrations que je propose dans mes cours.
Mettre des feuilles ou des fleurs d’une même plante dans deux pots mason: un pot dans lequel on versera l’eau bouillante sur la plante, l’autre pot dans lequel on versera de l’eau température pièce.
Après un certain temps (à vous de voir, avec la couleur de l’eau), comparez le goût, l’odeur et le ressenti en buvant l’infusion de plantes à l’eau bouillante, puis en buvant l’infusion faite par trempage.
Comparez, ébouillantées VS trempées:
feuilles de framboisier
ortie
calendules
roses
et autres plantes de votre choix.
Vous remarquerez probablement que:
les infusions faites à partir d’eau bouillante goûtent pratiquement toutes la même chose: âcre.
Je comprends que plusieurs personnes n’aiment pas se faire des infusions et qu’elles abandonnent leur traitement. C’est simplement parce que souvent, ça goûte mauvais!les infusions faites à partir d’un trempage, puis d’une chaleur légère, goûtent fruité, sentent floral, donnent du plaisir à boire. On ressent vraiment la médecine de la plante. C’est la méthode que je choisis de pratiquer. Par respect pour la plante et pour sa médecine.
À VOTRE SANTÉ!
Libre à vous de faire vos infusions comme bon vous l’entendez. De mon côté, je reste fidèle à mes apprentissages, j’assume ma différence et je continue d’enseigner mes façons de faire selon mes valeurs.
Prenez soin de vous!
La Métisse
juillet 2020
(pour ceux qui ont le livre de base, lire pages 46 et 47, 64 et 65, 193)
Note aux herboristes européennes : Parce qu’on me confronte souvent avec le terme, pour moi :
une infusion: c’est relativement court et c’est dans l’eau. C’est pour boire.
une macération : c’est un long processus de trempage. Dans l’alcool, dans l’huile ou dans l’eau. C’est pour un remède qui prend du temps à faire (ex: teinture-mère).
Merci.